Utilisation conjointe de la clarté nucale, de l'âge gestationnel et de l'âge maternel pour l'estimation du risque de trisomie 21


T. Faraut*, C. Cans**, M. Althuser***, P.S. Jouk****

* Techniques de l'Imagerie de la Modélisation et de la Cognition (TIMC), Faculté de Médecine, 38700 La Tronche, France
** Registre des handicaps de l'enfant et l'observatoire périnatal d'Isère (RHEOP), 23 Av. Albert 1ier de Belgique, 38000 Grenoble, France
*** Service de Gynécologie obstétrique et médecine de la Reproduction, CHU de Grenoble, BP217, 38043 Grenoble Cedex 09, France
**** Unité de Concertation de Diagnostic Anténatal (UCDAN), CHU de Grenoble, BP217, 38043 Grenoble Cedex 09, France

Après exclusion des interruptions sélectives de grossesse pour trisomie 21, la prévalence de la trisomie 21 parmi les naissances reste élevée, autour de 1 pour 800 en Europe ces dernières années [1,2], et ceci notamment du fait de l'augmentation du nombre des patientes dans une tranche d'âge à risque intermédiaire. L'amniocentèse, qui permet de diagnostiquer avec une excellente fiabilité la trisomie ne peut être effectuée pour toutes les grossesses car, en dehors des considérations matérielles, elle comporte un risque d'une fausse couche pour 100 à 200 examens pratiqués (0,6% [3], 1,5% [4]). Depuis 1980, la stratégie de dépistage de la trisomie 21 en France reposait sur l'accès au remboursement du caryotype foetal par amniocentèse pour les femmes de 38 ans et plus, âge à partir duquel le risque est supérieur à 1% [5]. En 1985, un deuxième groupe de grossesses à risque d'anomalie chromosomique avait été défini par la présence de signes d'appel échographiques à l'examen morphologique justifiant la réalisation d'un caryotype foetal chez ces femmes ainsi que sa prise en charge [6].

Parmi ces derniers, la clarté nucale (CN) présente un intérêt particulier du fait de la croissance proportionnelle du risque de trisomie 21 avec sa taille [7]. On fixe généralement le seuil pathologique à 3 mm, retenu sur la base des critères épidémiologiques d'une bonne sensibilité (proportion des foetus trisomiques dépistés), et d'un faible nombre de faux positifs (les grossesses normales inquiétées) [7,8]. En 1997, une nouvelle stratégie de diagnostic prénatal de la trisomie 21 a été introduite (arrêté du 23 Janvier 1997, décret du 28 Mai 1997), permettant, pendant une période probatoire de deux ans, d'assurer le remboursement des marqueurs sériques dosables dans le sang maternel et la prise en charge du diagnostic par amniocentèse en cas de risque de trisomie 21 accru ( ³ 1/250). Le dosage des marqueurs sériques est réalisé au début du second trimestre de la grossesse.

Aujourd'hui, l'utilisation de ce dernier critère dans le cadre d'une stratégie globale de dépistage de la trisomie 21 reste controversée. En effet, outre l'aspect contradictoire d'un seuil de risque fixé à 1/250 pour les marqueurs sériques maternels, l'intérêt de ces derniers a été fondé sur une évaluation du dépistage échographique maintenant obsolète du fait des progrès de l'examen morphologique et en particulier de la mesure de la CN. Dans un tel contexte, il nous a semblé intéressant de préciser le risque associé aux deux signes appréhendés les plus précocement, l'âge maternel et la clarté nucale.

L'objet de cet article est de proposer une amélioration de l'estimation, au moment du premier examen échographique, du risque de trisomie 21 pour un foetus indemne d'autres malformations. Le modèle, initialement proposé par l'équipe anglaise de K.H. Nicolaides [9], repose d'une part sur la prise en compte de la croissance physiologique de la CN entre la 10e et la 14e semaine de gestation permettant de définir une CN " normale " ou moyenne pour un âge gestationnel donné, et d'autre part sur l'estimation d'un risque qui tient compte simultanément des facteurs âge maternel et écart à la normale de la CN. L'utilisation d'un tel modèle, dans le cadre de la stratégie française de dépistage, devrait permettre une amélioration de la détection.


Figure I. Clarté nucale en fonction de la longueur crânio-caudale chez 266 foetus de caryotype normal.

Il permet de préciser le caractère pathologique de la mesure de la CN. Le critère actuel de CN, un seuil pathologique de 3 mm à la 12e semaine de gestation, manque en effet de précision. Le premier rendez-vous échographique étant fixé à partir du nombre de semaines d'aménorrhée, on observe que l'âge gestationnel à cet examen (estimé d'après les données biométriques) est compris entre 10 et 14 semaines). La croissance physiologique de la CN au cours de la gestation rend alors difficile l'utilisation d'un seuil fixe. D'autre part, dans la stratégie actuelle, la valeur prédictive négative d'une nuque normale n'est pas prise en compte. Il semble donc nécessaire de tenir compte simultanément de l'âge gestationnel, de l'âge maternel et de la CN pour une évaluation du risque.

Les études anglo-saxonnes multicentriques fournissent une estimation des risques marginaux relatifs à l'âge maternel et à l'écart à la normale de la CN. Nous proposons un estimation du risque simultané à partir de ces risques marginaux. De plus, afin de définir la valeur normale attendue de CN pour un âge gestationnel donné, nous avons étudié, dans le cadre d'une étude préliminaire basée sur 266 examens échographiques du premier trimestre, la relation entre la LCC et la CN entre la 10e et la 14e semaine de gestation. Finalement, nous proposons de définir le groupe de grossesses à risque associé au marqueur de la CN en fixant à 1/250 le seuil de risque simultané de trisomie 21. Ce critère peut également s'exprimer sous la forme d'un seuil pathologique de CN qui dépend de l'âge gestationnel et de

MATÉRIEL ET MÉTHODE

Nous avons étudié un ensemble de 266 observations correspondant aux examens échographiques de premier trimestre effectués par l'un d'entre nous entre septembre 1996 et avril 1997. Cet échantillon ne comporte pas de cas de trisomie. Chaque examen fournit une mesure de la CN, de la LCC et du diamètre bipariétal.

Tableau I. Âge gestationnel et clarté nucale (266 observations). Correspondance entre le nombre de semaines de gestation, estimé par la longueur crânio-caudale (LCC) et la clarté nucale normale (valeur moyenne prédite).

Âge gestationnel 10e SA 11e SA 12e SA 13e SA 14e SA
LCC (mm) 33 43 55 68 85
Clarté nucale (mm) 1,05 1,24 1,46 1,7 3
(± DS) (± 0,14) (± 0,06) (± 0,06) (± 0,12) (± 0,1)

Les examens ont tous été réalisés par le même opérateur utilisant le même appareil (Aloka SSD 2 000 avec sondes abdominales et endo-vaginales de 5 Mhz). Les mesures ont été effectuées soit par voie transcutanée sus-pubienne, soit par voie endovaginale au cours de l'échographie systématique du premier trimestre de la grossesse. Dans tous les cas le recueil a été établi sur des coupes sagittales médianes, immédiatement en arrière et au-dessous de l'écaille occipitale. Les images sont lues avec un zoom d'un facteur au moins x 1,5 de telle sorte que le positionnement des curseurs puisse se faire de manière précise entre le bord externe de l'interface osseuse et le bord interne de l'interface cutanée : les mesures excluent donc l'épaisseur cutanée, elles n'intéressent que la portion anéchogène ou pauci-échogène rétro-nucale. Sur les 266 examens, 245 ont été réalisés par voie abdominale et 21 par voie trans-vaginale.

Pour obtenir la valeur normale de la CN à un âge gestationnel donné nous utiliserons, comme cela a déjà été proposé [9], la relation qui lie cette grandeur à la LCC (mesure de référence pour l'estimation de l'âge gestationnel).

Calcul du risque relatif simultané

Nous noterons dans la suite R_A et R_B les risques relatifs associés séparément à chacun des deux facteurs, ou risques relatifs marginaux, respectivement l'âge de la mère et la CN. Nous appelons risque relatif simultané, noté R_{AB}, le risque de trisomie connaissant l'âge maternel et la mesure de la clarté nucale. En l'absence de données permettant une estimation directe, ce risque peut être déduit des risques marginaux disponibles dans la littérature [5,14]. Pour calculer le risque simultané, nous faisons l'hypothèse d' indépendance des deux facteurs sur deux sous-populations. D'une part, nous avons observé sur nos données que l'on ne peut rejeter l'hypothèse d' indépendance sur la population des foetus sains (test de corrélation de Pearson, t = 0.242, 264 ddl, p>0.8) ce qui avait déjà été constaté [9]. D'autre part, il semble naturel de faire également l'hypothèse d' indépendance dans la population des foetus malades, à savoir que pour un foetus trisomique il n'y a pas d'association entre la CN et l'âge maternel [7].

Nous pouvons dès lors établir une formule, dérivée du raisonnement bayésien classique, permettant de calculer le risque relatif simultané à partir des risques relatifs marginaux :

p désigne le risque de la maladie dans toute la population.

Les risques marginaux

Pour le facteur âge maternel nous utilisons les risques relatifs liés à l'âge maternel pour un foetus entre 9 et 14 semaines de gestation publiés par Snijders et al. [5]. Pour le risque relatif lié à l'épaisseur de la nuque, nous utilisons les résultats publiés par Pandya et al. ([9], table 4) donnant par intervalle d'écart à la normale de l'épaisseur de la nuque l' incidence des foetus trisomiques et normaux en considérant une prévalence moyenne de trisomie 21 de 1/550 entre 9 et 14 SA [5].

RÉSULTATS

Epaisseur de la nuque et longueur crânio-caudale

Comme indiqué par l'équipe anglaise ([9], il existe une relation de dépendance linéaire entre la longueur crânio-caudale et la clarté nucale (Fig 1 ; statistique statistique F=54.8 avec 1 et 264 d.d.l, p < 0.0001; statistique F=54.8 avec 1 et 264 d.d.l, p < 0.0001; coefficients: 0.0186, cste=0.4394). La relation de dépendance linéaire permet d'obtenir pour une valeur de LCC, la valeur moyenne attendue, ou valeur " normale ", de la CN grâce à l'équation fournit par la régression linéaire (prédiction en moyenne dans la terminologie de la régression linéaire) (tableau I). Nous disposons donc d'un outil qui tient compte de la variabilité des foetus entre la 10e et la 14e semaine de gestation pour définir la normalité, ce qui n'était pas le cas lorsque l'on disposait d'une valeur moyenne à 12 semaines de gestation. Le facteur de risque associé à la mesure de la CN s'exprime sous la forme d'un écart à la valeur moyenne attendue (notée e dans le tableau II). Notons néanmoins que pour les examens fait à 10 semaines de gestation d'après les données biométriques, il apparaît raisonnable de les refaire à 12 semaines de gestation.

Risques relatifs simultanés

La formule (1) permet d'obtenir les risques relatifs à partir des risques relatifs marginaux. Les résultats sont présentés dans le tableau II.

Pour illustrer l'utilité potentielle de ce tableau nous prenons l'exemple d'un examen échographique d'une femme enceinte de 35 ans effectué à la 10e semaine de gestation et dont les mesures pour la longueur crânio-caudale et la CN sont respectivement de 38 et 2.2 mm.

Tableau II. Risques simultanés de trisomie 21. Les risques sont exprimés en fonction de l'âge maternel et de l'écart à la normale de la clarté nucale (e).

e (mm)

âge
e<0 0£ e<0,5 0,5£e<1 1£ e<1,5 1,5£ e<2 e>2 Risques marginaux
20 1/4098 1/2462 1/769 1/155 1/47 1/9 1/696
21 1/4045 1/2430 1/759 1/153 1/46 1/8 1/687
22 1/3974 1/2387 1/746 1/150 1/45 1/8 1/675
23 1/3880 1/2331 1/728 1/147 1/44 1/8 1/659
24 1/3768 1/2263 1/707 1/143 1/43 1/8 1/640
25 1/3627 1/2178 1/681 1/137 1/42 1/8 1/616
26 1/3450 1/2072 1/647 1/131 1/40 1/7 1/586
27 1/3243 1/1948 1/609 1/123 1/37 1/7 1/551
28 1/3002 1/1803 1/563 1/114 1/35 1/7 1/510
29 1/2730 1/1640 1/513 1/104 1/32 1/6 1/464
30 1/2442 1/1467 1/458 1/93 1/28 1/6 1/415
31 1/2135 1/1283 1/401 1/81 1/25 1/5 1/363
32 1/1829 1/1099 1/344 1/70 1/21 1/4 1/311
33 1/1540 1/925 1/289 1/59 1/18 1/4 1/262
34 1/1268 1/762 1/239 1/49 1/15 1/3 1/216
35 1/1027 1/617 1/193 1/40 1/12 1/3 1/175
36 1/820 1/493 1/155 1/32 1/10 1/3 1/140
37 1/649 1/390 1/123 1/25 1/8 1/2 1/111
38 1/502 1/302 1/95 1/20 1/7 1/2 1/86
39 1/390 1/235 1/74 1/16 1/5 1/2 1/67
40 1/296 1/178 1/56 1/12 1/4 1/2 1/51
41 1/225 1/136 1/43 1/9 1/4 1/1 1/39
42 1/172 1/104 1/33 1/7 1/3 1/1 1/30
43 1/131 1/79 1/25 1/6 1/2 1/1 1/23
44 1/95 1/58 1/19 1/5 1/2 1/1 1/17
45 1/72 1/43 1/14 1/4 1/2 1/1 1/13

Risques marginaux

1/3270 1/1964 1/614 1/124 1/38 1/7  

La valeur moyenne attendue pour l'épaisseur de la nuque est de 1.2 mm (voir tableau I), la mesure se situe donc dans un intervalle de 1 à 1.4 mm d'écart à la normale. Pour un âge de 35 ans, le tableau II indique un risque de trisomie de 1/40 soit nettement supérieur au risque associé à l'amniocentèse et au risque maximum généralement toléré de 1/250. Nous avons délibérément pris un exemple d'une grossesse à risque très élevé de trisomie 21 mais qui n'est pas dépistée par la stratégie actuelle car d'un âge maternel inférieur à 38 ans et d'une CN nettement inférieure au seuil de 3 mm. De manière analogue si l'on prend l'exemple d'une femme de 38 ans dont l'examen échographique est effectué à la 13e semaine et dont les mesures de la longueur crânio-caudale et de la CN sont respectivement de 68 et 1.7 mm, le risque de trisomie 21 est de 1/304 soit un risque de 3 à 4 fois inférieur au risque attendu pour l'âge maternel et également inférieur au risque que comporte l'amniocentèse qui lui est cependant proposée.

Sans remettre en cause l'accès à cet examen pour les femmes de 38 ans et plus et si l'on considère, comme il est d'usage, qu'un risque de trisomie 21 supérieur à 1/250 justifie l'examen du caryotype foetal par amniocentèse, le tableau II nous permet de définir pour deux classes d'âge maternel des seuils pathologiques d'écart à la normale de CN devant conduire à la proposition de l'examen d'amniocentèse :

Ainsi, l'intégration du risque simultané estimé dans le cadre de la stratégie actuelle peut se résumer par l'utilisation d'un abaque fournissant un seuil de CN pathologique pour un âge gestationnel, défini par la LCC, et pour une classe d'âge maternel (tableau III).

Tableau III. Nouvelles indications proposées d'amniocentèse. Seuils pathologiques de clarté nucale (en mm) devant conduire à l'indication d'amniocentèse, en fonction de l'âge maternel et de l'âge gestationnel au moment de l'examen échographique du premier trimestre.

Age gestationnel 10e SA 11e SA 12e SA 13e SA 14e SA

LCC (en mm)

33 43 55 68 85
³35 ans >1,5 >1,75 >2 >2,25 >2,5

<35 ans

>2 >2,25 >2,5 >2,75 >3

DISCUSSION

La stratégie de dépistage de la trisomie 21 repose sur la définition de groupes de grossesses à risque pour lesquelles un diagnostic prénatal est proposé et remboursé. Ce diagnostic ne pouvant être proposé pour toutes les grossesses, une optimisation de la stratégie se fait en recherchant un compromis entre une bonne sensibilité (proportion de foetus trisomiques diagnostiqués) et un faible nombre de faux positifs(FP), ou foetus normaux caryotypés. En dehors des indications classiques d'individualisation des couples à risque (mère âgée de plus de 38 ans, parent porteur d'une translocation équilibrée, antécédent d'aberration chromosomique et signes d'appel malformatifs échographiques) deux stratégies nouvelles sont en cours d'évaluation. Une première repose sur la mesure de la CN, lors de la première échographie de la fin du premier trimestre. Le seuil pathologique de 3 mm initialement retenu permet une sensibilité de l'ordre de 50% en conduisant à un faible nombre d'examens (FP 5% , [2,8]). L'étude prospective de Pandya et al. [9], sur une population cependant à risque sensiblement élevé (0.42), indique qu'un seuil de 2,5 mm permettrait de dépister près de 77% des trisomies mais avec un taux de FP supérieur à 7%. Une autre stratégie repose sur le dosage des marqueurs sériques maternels pour un taux de faux positifs fixé à 5% elle permet de détecter 60% des foetus trisomiques [10,11].

Notre démarche est celle d'une tentative d'optimisation de la méthode basée sur la CN combinant l'écart à la normale de la CN, l'âge gestationnel et l'âge maternel pour la définition d'un groupe de grossesses à risque [9,12]. L'ensemble des résultats qui viennent d'être rapportés peuvent faire l'objet d'une synthèse (tableau III). On voit qu'elle conduit à diminuer notablement les valeurs habituellement conseillées de taille de CN conduisant à proposer la réalisation d'une amniocentèse.

Le premier problème soulevé par cette analyse provient donc de la valeur de l'écart accepté à la moyenne de la CN qui n'est que de 0,5 mm chez les femmes de plus de 35 ans et plus, et de 1 mm chez les femmes de moins de 35 ans, ce qui souligne la rigueur nécessaire au recueil des mesures échographiques. Malgré cette rigueur, les imprécisions de la mesure, relevées par Bewley et al. [13], conduiront probablement à une certain nombre de faux positifs de CN. L'expérience des opérateurs est certainement primordiale pour la réussite d'une telle stratégie de dépistage [8] et la politique anglaise préconise même qu'ils aient suivi au préalable une formation théorique et pratique à l'examen du premier trimestre [12].

Le deuxième problème concerne la validation de la stratégie proposée. La définition des seuils de CN pathologiques, à partir duquel le risque de trisomie 21 est supérieur à 1/250, repose d'une part sur l'estimation d'une CN normale pour un âge gestationnel donné et d'autre part sur l'estimation du risque simultané. La caractérisation de la CN normale a fait l'objet d'une étude préliminaire portant sur 266 examens échographiques que nous présentons ici. Une étude prospective dans un cadre multicentrique est donc nécessaire pour confirmer nos résultats. En revanche, le risque simultané est calculé à partir des risques marginaux provenant de la littérature et qui sont issus d'études multicentriques anglo-saxonnes [5,7]. Ils peuvent, selon nous, être directement transposés à la population française, sans étape de validation préalable par une étude prospective. Enfin, une estimation, sur la base de la répartition en population standard des patientes dans les deux classes d'âge et de la distribution de la mesure de la CN, indique que cette stratégie, appliquée aux femmes de moins de 38 ans, conduirait à proposer une amniocentèse à 4% de ces grossesses en y détectant 72% des foetus trisomiques. Si de plus une amniocentèse est proposée à toutes les femmes de plus de 37 ans, indépendamment du risque de trisomie estimé par le modèle, 79% des foetus trisomiques pourraient être diagnostiqués, mais en proposant à plus de 7% des patientes cet examen. Ce dernier point souligne qu'une optimisation de la stratégie de dépistage suppose, à l'avenir, de reconsidérer le groupe de grossesses à risque défini sur la base de l'âge maternel.

Quoi qu'il en soit, la méthode proposée paraît raisonnablement fondé sur l'analyse des données de la littérature et des études anglo-saxonnes. En effet, la stratégie de dépistage qui consiste à considérer le risque simultané pour la définition d'un unique groupe de grossesses à risque pour les marqueurs âge maternel et CN, a récemment fait l'objet d'une validation dans le cadre d'une étude multicentrique en population standard sur un ensemble de 92127 grossesses [12]. Les résultats montrent qu'elle permet de détecter 77% des trisomies 21 en proposant une amniocentèse aux 5% des grossesses dont le risque est le plus élevé. L'utilisation d'un modèle combinant CN et âge maternel permet ainsi une meilleure sensibilité qu'une méthode combinant marqueurs sériques et âge maternel pour un même taux de FP de l'ordre de 5% (77% contre 60%). En dehors des considérations statistiques, le dosage des marqueurs sériques, qui a pour seul objectif le dépistage de la trisomie, est source de stress supplémentaire pour les patientes qui en attendent le résultat. De plus, sa réalisation tardive, au début du deuxième trimestre, rend plus traumatisante encore l'option d'une interruption de grossesses, en cas de caryotype anormal, pour les couples qui en font le choix. Ce sont autant de facteurs humains qu'une réflexion sur l'amélioration de la stratégie de dépistage se doit de prendre en compte.

Un autre intérêt de nos résultats concerne l'utilisation des valeurs faibles mesurées de CN, elles conduisent dans certaines situations à une diminution du risque d'aberration chromosomique. Ceci peut permettre de délivrer une information adaptée aux patientes qui auront en dernier ressort à se déterminer vis à vis de l'attitude qu'elles adopteront. Enfin nos résultats amènent à définir de nouveaux risques à priori après détermination de la mesure de la CN qui pourraient être pris en compte dans une stratégie globale utilisant d'autres informations.

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Article paru dans J Gynecol Obstet Biol Reprod 1999 ; 28 : 439-445
reproduit dans SMEL grâce à l'aimable autorisation des auteurs.