L’hémiparésie ataxique par infarctus lacunaire.

Besson Gérard, Vincent Eric, Hommel Marc, Perret Jean.
Service de Neurologie, B.P. 217, 38043 Grenoble Cedex 9.

L'hémiparésie ataxique (HPA) associe une hémiparésie à un syndrome cérébelleux ipsilatéral. La prévalence de l'hémiparésie ataxique est estimée à 1,9% des accidents vasculaires cérébraux à Oxford (Bamford et al., 1987) et à 2,6% dans la Stroke Data Bank (Chamorro et al., 1991). Elle a comme principale cause les infarctus lacunaires. Les infarctus lacunaires, de petite taille par définition, sont localisés dans des régions où les faisceaux pyramidal et cérébelleux sont proches, c'est-à-dire du pont au cortex. Au début du XXe siècle, l'existence d'une telle localisation lésionnelle vasculaire avait été supposée dans le cadre des atteintes syphilitiques par Babinski et Jumentié (1910), puis par Marie et Foix (1913a, 1913b), mais sans preuve anatomique. Le premier cas vasculaire autopsique a probablement été rapporté par Foix et Hillemand (1926) qui signalaient l'association d'une hémiparésie avec "un peu de maladresse...mais jamais les signes de la série cérébelleuse ne sont francs et on ne les rencontre qu'à l'état fruste". La première observation bien documentée fut celle de Raymond Garcin (1955) par lacune de "la partie postérieure du noyau externe" du thalamus. Fisher et Cole (1965) décrivirent la parésie crurale avec ataxie homolatérale à partir de cinq cas, dont un anatomique et en 1978, Fisher créa le terme "ataxic hemiparesis", à partir de trois cas autopsiques par lacune du pont.

La présence ou l'absence de certains signes cliniques pourraient orienter vers une localisation lésionnelle soit sus soit sous-tentorielle (Huang et Lui, 1984, Moulin T et al., 1995). Cependant, dans aucune des études rapportées, la réalisation d’une imagerie par résonance magnétique (IRM) n’a été systématique. Le but de notre travail a été d’étudier chez les patients porteurs d’une hémiparésie ataxique due à un infarctus lacunaire présumé par IRM, les facteurs de risques d’accident vasculaire cérébral (AVC) et les signes cliniques et de tenter de les corréler à la localisation sus ou sous tentorielle.

Patients et méthodes

Tous les patients consécutivement hospitalisés, entre 1987 et 1996, dans l'unité de pathologie vasculaire de la Clinique Neurologique du CHU de Grenoble, pour un infarctus lacunaire symptomatique diagnostiqué par un neurologue, ont été étudiés. Les patients présentant une hémiplégie motrice pure et récupérant sous la forme d’une hémiparésie ataxique, ont été retenus comme hémiparésie ataxique. En revanche, les patients présentant une hémiparésie ataxique avec des troubles sensitifs même transitoires, ont été exclus.

Chaque patient a bénéficié d’un scanner cérébral sans injection de produit de contraste, d'une IRM pondérée en T2, d’un doppler cervical, d’un ECG et d’examens biologiques standards.

Un infarctus lacunaire a été défini en IRM, séquences pondérées en T2, comme un hypersignal de moins de 2,5 cm de diamètre situé dans un territoire vascularisé par une artère perforante. (Hommel et al., 1990).

Résultats

Parmi 239 patients hospitalisés pour un infarctus lacunaire symptomatique, 61 présentant une hémiparésie ataxique ont été étudiés. Le scanner a été réalisé en moyenne 2,3 jours et l’IRM 25,8 jours après le début des symptômes. Il y avait 41 hommes pour 20 femmes, d'âge moyen de 65,4 ans ± 12,3 (DS). Les facteurs de risque d’AVC sont résumés dans le tableau 1.

Dans 2 cas l'IRM ne trouva pas de lésion, dans 9 cas il y avait des infarctus lacunaires en tandem, et dans 50 cas une corrélation radio-clinique précise put être faite. Les 9 cas de tandem se répartissaient en 5 cas de tandem pontique et capsulaire interne (bras postérieur), et 4 cas de tandem pontique et couronne rayonnante. Lorsqu’une corrélation radio-clinique précise put être faite, la localisation la plus fréquente fut la capsule interne (33 cas dont 26 lésions du bras postérieur, 4 lésions du genou et 3 lésions du bras antérieur). Venaient ensuite par ordre décroissant de fréquence , la couronne rayonnante (19 cas), le thalamus (13 cas) , le noyau lenticulaire (11 cas), le pont (10 cas) et le mésencéphale (1 cas). Il y avait donc au total 10 infarctus lacunaires pontiques et 40 infarctus lacunaires sus-tentoriels (l’infarctus mésencéphalique correspondait à la partie inférieure d’un infarctus capsulaire interne). Il n’y avait pas de différence entre les deux sous-groupes pour les facteurs de risque hormis pour les antécédents de maladie coronarienne (tableau 2). La fréquence d'antécédent de maladie coronarienne était beaucoup plus importante chez les patients porteurs d'un infarctus pontique : 4 cas sur 10, contre 3 cas sur 40 atteintes sus-tentorielles (c 2 avec correction de Yates égal à 5,11 ; p = 0,02).

Chez les 10 patients atteints d’un infarctus lacunaire pontique, 6 avaient un déficit moteur proportionnel, 3 un déficit prédominant au membre inférieur et 1 un déficit prédominant au membre supérieur.

Dans les 40 cas sus-tentoriels, on notait 26 déficits proportionnels, 10 déficits prédominant au membre inférieur et 4 prédominant au membre supérieur. La topographie du déficit moteur était donc comparable dans les deux sous-groupes.

Discussion

La répartition des facteurs de risque de notre population est proche de la fréquence rapportée habituellement dans les infarctus lacunaires (Lodder et Boiten, 1993).

Des lésions en tandem (15 %) y est plus élevée que dans l'étude de Moulin et al. (1995) consacrée à l’hémiparésie ataxique où elle n’était que de 10,5 %. Ce pourcentage est peut-être sous-évalué car seuls 23 patients sur 77 ont été étudiés par IRM dans l’étude de Moulin et al. (1995). Toutefois, la répartition en 5 cas pont/capsule interne et 4 cas pont/couronne rayonnante est proche de celle de Moulin et al (1995) qui rapportent respectivement 5 cas et 3 cas.

La prédominance du sexe féminin (6 cas sur 9) dans notre population de lésions en tandem est associée à un âge moyen plus élevé (71 ans) et à une fréquence plus élevée de sténose carotidienne (3 cas sur 9) par rapport aux 50 cas où il y a une lésion unique. Seule la différence de sexe est significative statistiquement ; elle n'a pas été étudiée à notre connaissance dans les autres études.

Dans les cas avec corrélation radio-clinique précise, la répartition du déficit moteur en 3 formes cliniques est proche de l’étude de Sanguineti et al. (1986) : proportionnel dans 64 % des cas, prédominant au membre inférieur dans26 % des cas, prédominant au membre supérieur dans 10 % des cas ( pour des pourcentages respectifs de 55 %, 42 % et 3 % dans l’étude de Sanguineti et al. (1986)).

La répartition topographique des infarctus est semblable à celle de l’étude de Moulin et al. (1995) : les localisations les plus fréquentes sont la capsule interne et la couronne rayonnante. Les sous-groupes sus et sous tentoriels différent peu en ce qui concerne la plupart des facteurs de risque (tableau 2). Toutefois, 4 cas sur les 10 infarctus lacunaires pontiques sont associés à une histoire de maladie coronarienne, contre 3 cas seulement sur les 40 cas sus-tentoriels (p = 0,02).

Une cause commune à la maladie coronarienne et aux infarctus lacunaires pontiques pourrait être l’obstruction artériolaire par microathérome. En effet, Fisher et Caplan décrivirent en 1971, trois formes de plaques athéromateuses obstruant des artérioles perforantes issues du tronc basilaire : l’athérome mural où la plaque est située dans l'artère de plus gros calibre et obstrue totalement l'artériole perforante à son origine, l’athérome jonctionnel où la plaque est à la jonction de l'artériole perforante avec l'artère dont elle est issue et le microathérome où la plaque est en totalité dans l'artériole perforante à son origine. L'athérome mural peut ainsi être une cause d'infarctus lacunaire pontique (Fisher et Caplan, 1971). L'hypertension artérielle (HTA) prédisposant probablement aux plaques de microathérome et à la lipohyalinose, la responsabilité respective de ces 2 mécanismes ne peut pas être établie chez les patients hypertendus (Lodder et Boiten, 1993). Or, parmi nos 10 patients atteints d'infarctus lacunaire pontique, 9 sont hypertendus. Il est donc difficile d'attribuer la maladie coronarienne (pathologie connue pour être due à l'athérosclérose) et les infarctus lacunaires à une cause commune.

Pour Huang et Lui (1984), la présence des troubles sensitifs, l'absence de dysarthrie, de nystagmus ou de déficit moteur brachiofacial orientent vers une lésion sous-tentorielle. Dans l'étude plus récente de Moulin et al. (1995), une dysarthrie est retrouvée dans 67 % des cas d'infarctus pontique contre 23 % pour les lésions capsulaires internes. Les paresthésies ou douleurs sont présentes chez 80 % des patients ayant une atteinte thalamique, contre 14 % dans les cas capsulaires internes, et absentes dans les infarctus pontiques. Dans 20 % des infarctus lacunaires pontiques, il n'y a aucun signe clinique associé, contre 44 à 52 % des atteintes de la couronne rayonnante et de la capsule interne. Dans notre série, aucun élément clinique ne permet d’orienter vers une atteinte sus ou sous tentorielle. Toutefois nos patients n’avaient par définition aucun signe ou symptôme sensitif. En effet, conceptuellement aucun signe sensitif ne doit exister. Pourtant, Fisher et Cole (1965) mentionnaient déjà leur existence (cas 4), et ils ont ensuite été retrouvés dans 36% des cas (Sanguineti et al., 1986). D’autre part, les potentiels évoqués sensitifs ont été retrouvés pathologiques dans les 4 cas rapportés par Kelly et al. (1987). Ces troubles, même mineurs et inconstants, posent le problème d'une composante lemniscale à l'ataxie.

Il nous semble donc difficile à partir de facteurs de risque ou d’éléments cliniques de faire un diagnostic topographique même grossier chez des malades porteurs d’une hémiparésie ataxique. La réalisation d’une IRM est indispensable pour un diagnostic topographique de certitude.



Références

Babinski J, Jumentié J (1911). Syndrome cérébelleux unilatéral. Rev Neurol, 115-118.

Bamford JM, Sandercock P, Jones L, Warlow C (1987). The natural history of of lacunar infarction : the Oxfordshire community stroke project. Stroke, 18 : 547-551.

Chamorro A, Sacco RL, Mohr JP, Foulkes MA, Kase CS, Tatemichi TK, Wolf PA, Price TR, Hier DB (1991). Clinical-computed tomographic correlations of lacunar infarction in the Stroke Data Bank. Stroke, 22 : 175-181.

Fisher CM (1978). Ataxic hemiparesis a pathologic study. Arch Neurol, 35 : 126-128.

Fisher CM, Caplan LR (1971). Basilar artery branch occlusion : a cause of pontine infarction. Neurology, 21 : 900-905.

Fisher CM, Cole M (1965). Homolateral ataxia and crural paresis : a vascular syndrome. J Neurol Neurosurg Psychiatry, 28 : 48-55.

Foix C, Hillemand P (1926). Contribution à l'étude des ramollissements protubérantiels. Rev Med, 43 : 287-305.

Garcin R (1955). Syndrome cérébello-thalamique par lésion localisée du thalamus avec une digression sur le "signe de la main creuse" et son intérêt séméiologique. Rev Neurol, 93 : 143-149.

Hommel M, Besson G, Le Bas JF, et al (1990). A prospective study of lacunar infarction using magnetic resonance imaging. Stroke, 21 : 546-554.

Huang CY, Lui FS (1984). Ataxic hemiparesis, localisation and clinical features. Stroke, 15 : 363-366.

Kelly MA, Perlik SJ, Fisher MA (1987). Somatosensory evoked potentials in lacunar syndromes of pure motor and ataxic hemiparesis. Stroke, 18 : 1093-1097.

Lodder J, Boiten J. Incidence, natural history, and risk factors in lacunar infarction (1993). In LR Caplan, P Pullicino, M Hommel (eds), Advance in Neurology, Vol 62, Cerebral Small Artery Disease, pp 213-227. Raven Press, New York.

Marie P, Foix C (1913a). Hémisyndrome cérébelleux d'origine syphilitique : hémiplégie cérébelleuse syphilitique. Sem Med, 33 : 13-15.

Marie P, Foix C (1913b). Formes cliniques et diagnostic de l'hémiplégie cérébelleuse syphilitique. Sem Med, 33 : 145-152.

Moulin T, Bogousslavsky J, Chopard JL, Ghika J, Crépin-Leblond T, Martin V, Maeder P (1995). Vascular ataxic hemiparesis : a re-evaluation. J Neurol Neurosurg Psychiatry, 58 : 422-427.

Sanguineti I, Tredici G, Beghi E, Aiello U, Bogliun G, Di Lelio A, Tagliabue M (1986). Ataxic hemiparesis syndrome : clinical and CT study of 20 new cases and review of the literature. Ital J Neurol Sci, 7 : 51-59.

Tableau 1 : Facteurs de risque sur l’ensemble de la population.
 

Nombre de cas

Fréquence en %

Intervalle de confiance à 95 %

Hypertension artérielle

47

77

66-88

Diabète

10

16

7-25

Tabagisme

32

52

39-65

Fibrillation auriculaire

7

11

3-19

Dyslipidémie

39

65

53-77

Maladie coronarienne

7

11

3-19

Valvulopathie gauche

8

13

5-21

Cardiomégalie

11

18

8-28

Artériopathie des MI

6

10

2-18

Sténose CI > 50 %

6/60

10

2-18

ATCD d'AIT

17

28

17-39

ATCD d'AVC

12

20

10-30

MI : membres inférieurs.

CI : carotide interne.

ATCD : antécédents.

AIT : accident ischémique transitoire.

AVC : accident vasculaire cérébral.

Tableau 2 : Comparaison des cas sus-tentoriels et des cas sous-tentoriels.
 

cas sous tentoriels (n=10)

cas sus tentoriels (n=40)

p

Hypertension artérielle

9

32

NS

Diabète

3

5

NS

Tabagisme

5

23

NS

Fibrillation auriculaire

1

3

NS

Dyslipidémie

6

27

NS

Maladie coronarienne

4

3

0.02

Valvulopathie gauche

1

6

NS

Cardiomégalie

2

7

NS

Artériopathie des MI

0

5

NS

Sténose CI > 50 %

1

2

NS

ATCD d'AIT

4

10

NS

ATCD d'AVC

2

6

NS

MI : membres inférieurs.

CI : carotide interne.

ATCD : antécédents.

AIT : accident ischémique transitoire.

AVC : accident vasculaire cérébral.



Travail présenté sous forme de communication affichée aux Journées de Neurologie de Langue Française de Paris-La Villette 1-4 avril 1998.

Reproduit dans SMEL grâce à l'aimable autorisation des auteurs