Embolie Pulmonaire

étiologie, physiopathologie, diagnostic, évolution, traitement
Ch. Pison, J.L.Bosson - Mai 2000




Etiologie 
Physiopathologie
Diagnostic
Evolution
Traitement
Conclusion



L'embolie pulmonaire (EP) se définit comme l'oblitération brusque du tronc ou d'une branche de l'artère pulmonaire le plus souvent par un caillot fibrino-cruorique venant d'une thrombose veineuse profonde des membres inférieurs (TVP) : concept de maladie thrombo-embolique (MTE).

  Maladie Thrombo-Embolique Veineuse

 
.

 Thrombose Veineuse Profonde ±

 Embolie Pulmonaire

C'est une pathologie fréquente et potentiellement grave :

USA : 5 M de TVP, 650 000 MTE, 200 000 décès associés, 50 000 décès liés directement à l'EP, 0,1 à 0,2 % évoluent vers la thrombose chronique.
France : 13 000 à 56 000 nouveaux cas annuels en France : 3 ème maladie cardiovasculaire après AVC et insuffisance coronaire.

Il s'agit essentiellement d'une pathologie d'accompagnement caractéristique du sujet âgé comme le montre l'histogramme de l'âge des patients suspects d'EP dans notre CHU (médiane de l'âge = 68 ans, extrêmes de 13 à 96 ans).

Le diagnostic est difficile car il n'existe pas d'examen simple, accessible à tous, sensible et spécifique.

Tous les cliniciens doivent savoir évoquer ce diagnostic, utiliser la filière diagnostique et initier un traitement.

1 Etiologie

On distingue comme pour la TVP des facteurs de risque propres au patient (Age, ATCD de MTE...) et des facteurs déclenchants (chirurgie...). Ces éléments sont résumés dans le tableau 1.

L'âge est un facteur de risque majeur plus du fait des comorbidité favorisant la survenue d'une EP que par son rôle propre. En pratique la moyenne d'âge des patients avec EP est de 69,5 ans (DS = 17 ans) alors que la moyenne d'âge des patients sans EP (suspicion négative) est de 63 ans (DS = 17 ans, p < 0,01).

Plus rarement, moins de 5 % des cas, il existe un déficit congénital de la coagulation. Le déficit en anti thrombine III est exceptionnel mais très thrombogène; les déficits en protéine C et S sont rares avec un risque de thrombose moindre alors que la résistance à la protéine C activée (RPCA) serait retrouvé dans 10 à 20 % des cas de MTE mais avec un risque thrombogène encore plus modeste. C'est une mutation d'un codon sur le gène codant pour le facteur V empêchant la protéine C activée de cliver le facteur Va.

Les états d'hypercoagulabilité peuvent également être acquis (anticorps antiphospholipides et lupus, déficit en ATIII et syndrome néphrotique par exemple).

2 Physiopathologie

schéma

- conséquences pulmonaires

* effet espace mort : zone ventilée non perfusée, mesurée en clinique par le gradient alvéolo-artériel en CO2.

* hypoxémie : 3 mécanismes : effet shunt lié à des rapports V/Q bas dans les zones non embolisées, et dans les EP graves hypoxémie par bas débit et réouverture du foramen ovale.

* hypocapnie par hyperventilation réponse à l'hypoxémie, responsable parfois de bronchospasme.

* infarctus pulmonaire par ischémie distale plus fréquent chez l'insuffisant cardiaque.


- conséquences cardiaques :

* augmentation des résistances pulmonaires

* Pression Artérielle Pulmonaire systolique (PAPs) peut atteindre en aiguë 35-40 mmHg, au delà s'installe une Insuffisance Ventriculaire Droite et un choc avec intolérance hémodynamique définissant l'EP grave. Si PAPs > 40 mmHg : histoire chronique ou récurrente probable.

3 Diagnostic

Le clinicien doit savoir reconnaître trois tableaux l'EP aiguë le plus fréquent, l'EP grave et la thrombose chronique des artères pulmonaires (tableau 2).

3.1 La Clinique

Signes cliniques de l'EP aiguë

Dyspnée, douleur thoracique de type pleurale, hyperthermie entre 37,5° C et 38,5° C tachycardie, et tachypnée supérieure à 20 sont les signes les plus fréquents mais peu spécifiques (tableau 3)

Les manifestations trompeuses de l'embolie pulmonaire sont nombreuses : arythmie, fièvre, confusion mentale, défaillance cardiaque résistante, bronchospasme grave...

Dans notre expérience, la dyspnée est le signe clinique le plus fréquent (sur 1168 patients suspects d'EP 805 (69%) présentaient une dyspnée). C'est également le signe la plus évocateur puisque 192 patients sur ces 805 (24%) avaient réellement une EP contre 45 EP pour les 363 patients sans dyspnée (12,5 % ; test du Chi-Deux : p < 0,001). La présence de signes cliniques de TVP beaucoup moins fréquents (20% des cas), semble également bien lié à l'EP puisque l'on observe 30 % d'EP en présence de signes de TVP (76/250) contre seulement 17,5 % (161/918; p<0,01) en l'absence de signe de TVP.

La clinique est indispensable pour évoquer le diagnostic. Les signes cliniques peu spécifiques prennent plus de valeur en fonction du contexte (présence de facteur de risque et/ou de facteur déclenchant de MTE). L'association de la clinique et de ces notions de facteurs de risque doit permettre l' estimation d'une probabilité clinique d'EP. Cette probabilité clinique a priori est nécessaire pour gérer l'enchaînement et l'interprétation des examens complémentaires qui seront toujours indispensables pour affirmer ou éliminer le diagnostic d'EP. En pratique, en utilisant une estimation empirique de la probabilité d'EP nous avons observé une prévalence de l'EP qui croit régulièrement avec le niveau de probabilité clinique (test du chi-deux p<0,01 et test de tendance linéaire p< 0,01).

  Probabilité clinique d'EP

 faible

  Moyenne

 Forte

 Très forte
  Prévalence réelle d'EP

 22/303 (7%)

 91/521 (17%)

 102/298 (34%)

 23/46 (50%)

3.2 Les examens complémentaires de base

Radio pulmonaire : rarement normale : 20%
Intérêts pour évoquer un diagnostic différentiel et également pour les signes dont la fréquence est accrue au cours de l'EP

ECG : utile pour le diagnostic différentiel et pour quelques signes les plus fréquents dans l'EP

Gaz du sang: indispensables pour apprécier la gravité, hypoxémie et hypocapnie sont non spécifiques. Ils peuvent apporter des éléments en faveur d'une EP

D-Dimère plasmatique
Produits de dégradation de la fibrine, ils sont pratiquement toujours positifs en cas de MTE (sensibilité > 95%) avec un seuil de 500 µg/l en ELISA mais non spécifique. Ils n'ont donc de valeur que négatifs pour éliminer une MTE. Il faut limiter les indications aux patients sans cancer évolutif, ni pathologie inflammatoire chronique, ni chirugie récente et agés de moins de 80 ans (toutes circonstances qui entrainent un taux positif de d-dimères indépendamment de la présence d'une MTE). Dans ces conditions on observe un taux de d-dimères négatifs de 50 % (280 sur 552 dosages en l'absence des 3 circonstances) contre seulement 8 % de négatifs (4/46) en présence de l'une de ces circonstances (p < 0 ,001). En cas de très forte probabilité clinique d'EP il faut demander directement d'autres examens complémentaires afin de limiter le risque de faux négatif.

3.3 Les examens complémentaires de confirmation

Scintigraphie pulmonaire Ventilation /Perfusion
C'est un examen sensible délivrant une faible irradiation sans risque d'allergie mais peu spécifique
- une scintigraphie avec une perfusion normale élimine une EP
- une haute probabilité a une valeur prédictive d'EP de 97%
- une probabilité intermédiaire est non décisionnelle : 10 à 70 % d'EP (67% des patients !). Il faut alors demander d'autres examens (voir stratégie diagnostique)

En présence d'une pathologie pulmonaire associée les valeurs prédictives positives ou négatives sont inchangées mais la scintigraphie sera beaucoup plus souvent de probabilité intermédiaire donc non décisionnelle.

Echo-doppler veineux
Permet de retrouver une TVP dans 70% des EP. Devant une forte suspicion clinique d'EP la découverte d'une TVP proximale permet de retenir le diagnostic d'EP et dans tous les cas a les mêmes conséquences thérapeutiques (anticoagulant 3 à 6 mois). ). La mise en évidence d'une TVP surale ne suffit pas à affirmer le diagnostique d'EP (seulement 60 % d'EP dans ce cas). Il est donc impératif de poursuivre les investigations. L'absence de TVP en écho-doppler n'élimine en aucun cas le diagnostic d'EP.
La recherche du foyer emboligène est indispensable pour une prise en charge spécifique de la TVP.

Echographie cardiaque : intérêts si EP grave ou thrombose chronique.
Elle résume le diagnostic si EP grave avec choc.
Elle apporte des renseignements pronostiques dans la thrombose chronique et des éléments en faveur d'un diagnostic différentiel dans les formes graves avec intolérance hémodynamique(choc cardiogénique, dissection aortique, choc septique...)

TDM hélicoïdale avec injection
Examen spécifique mais pas encore parfaitement sensible. Il nécessite une irradiation non négligeable et une injection iodée.
Il paraît particulièrement indiqué dans 3 situations :
- EP grave
très sensible et spécifique, mise en oeuvre rapide, moins dangereux qu'une angiographie pulmonaire.
- EP aiguë avec Scintigraphie non diagnostique et EFV négatives ou EP aiguë avec pathologie pulmonaire associée rendant peu décisionnel la scintigraphie

- Thrombose chronique
Contribue au diagnostic et précise les indications : thromboendartériectomie ?

Angiographie pulmonaire : méthode diagnostic de référence mais..
l'interprétation est difficile (8%-17% discordance). Problème d'accessibilité, de faisabilité et de coût. C'est actuellement un examen de deuxième intention.

3.4 Diagnostic différentiel

Pièges pouvant simuler une embolie pulmonaire mineure : Bronchite aiguë, Crise d'asthme, Pneumonie, Douleur musculo-squelettique de la paroi thoracique, Péricardite, Spasme oesophagien, Anxiété.

Pièges diagnostiques pouvant simuler une embolie pulmonaire majeure : Infarctus du myocarde, Infection aiguë chez un BPCO, Choc septique, Hémorragie sévère occulte, Anévrysme disséquant de l'aorte.

3.5 Propositions de stratégie diagnostique

La multiplicité des examens complémentaires reflète à l'évidence le fait qu'aucun d'entre eux n(est parfait.Il n'existe pas de stratégie diagnostique univoque. Cette proposition fait référence à l'ensemble des possibilités du plateau technique et prend en compte la notion de probabilité clinique. D'autres stratégies sont possibles. Dans tous les cas il faut connaître les limites de chacun des examens et savoir les intégrer dans une démarche clinique.

3.6 Situations particulières

L'EMBOLIE PULMONAIRE GRAVE

L'embolie pulmonaire grave est définie par l'intolérance hémodynamique imposant des mesures immédiates compte tenu du risque vital majeur à court terme. Devenue plus rare grâce au progrès de la prévention et du diagnostic c'est une urgence absolue.

LA THROMBOSE CHRONIQUE ARTÉRIELLE PULMONAIRE

La thrombose chronique artérielle pulmonaire est une forme d'évolution peu fréquente mais de mauvais pronostic.

LES EMBOLIES PULMONAIRES NON CRUORIQUES

De manière exceptionnelle les embols peuvent ne pas être d'origine fibrino-cruorique (embols néoplasiques et cancer du rein par exemple).

4 Evolution

Maladie grave à court terme et à 1 an. Le risque de récidive de MTE est compris entre 5 et 10 % à un an sous traitement bien conduit. Exemples :

- 5 décès et 5 récidives / 19 sujets non traités versus 0 décès et 0 récidives chez 16 sujets traités (première et seule étude comparant l'héparine à un placebo)

- 399 EP dont 375 traitées et suivies sur 1 an :

+ 10 décès (2,5 %) par EP,

+ 33 récidivent (8,3 %), la moitié dans la première semaine ; 45 % décèdent

Le risque de décès à un an est élevé (de l'ordre de 10 à 25 %). Le plus souvent c'est la pathologie associée qui est responsable du décès. La MTE est alors un marqueur du risque de décès témoin de la gravité de la pathologie sous jacente. Exemple :
- Mortalité à 6 ans chez 300 patients :
- 15% chez patients chirurgicaux et traumatiques
- 25% chez patients avec MTE "primitive" (10% avec Kc)
- 50% chez patients avec cardiopathie

L'évolution vers un coeur pulmonaire chronique est de l'ordre de 1 % des cas

5 Traitement

Il ne se conçoit qu'en milieu hospitalier.

Oxygénothérapie adaptée en fonction des gazs du sang et prise en charge de la douleur sont nécessaires.

Le traitement de base repose sur les anticoagulants dont l'objectif principal est la prévention des récidives.

En première intention c'est l'héparinothérapie. Elle doit être débutée immédiatement en cas de forte suspicion clinique et poursuivie ou non en fonction des résultats des examens complémentaires.

L'héparine non fractionnée doit être initialisée par un bolus intraveineux d'héparine (100 UI/kg/j) suivi par un traitement intraveineux continu au pousse-seringue avec une posologie adaptée au poids du patient (500 UI/Kg/J) puis en fonction du Temps de Céphaline Activée (TCA entre 1,5 et 2 fois le témoin).

Les HBPM, d'action anticoagulante immédiate et stable, ont fait la preuve de leur efficacité en une injection par jour (Innohep) ou deux (Clivarine) mais n'ont pas encore à ce jour l'AMM dans le traitement de l'EP. Comme pour la TVP leur simplicité d'utilisation sera leur principale avantage.

Les anticoagulants oraux (Antivitamines K) peuvent être envisagés en l'absence de contre-indication dès les premiers jours de traitement en relais de l'héparinothérapie en l'absence de geste invasif prévisible. Après introduction de l'AVK on doit poursuivre l'héparinothérapie jusqu'à l'obtention d'un INR entre 2 et 3. En pratique 3 à 6 jours sont nécessaires. Il est recommandé d'utiliser des AVK de demi-vie longue (Préviscan, Apegmone, Coumadine) plus stable à long terme.

Le décubitus strict reste la règle mais ne doit pas dépasser 2 à 3 jours sauf très rares exceptions liées à la nature de la TVP.

La durée du traitement anticoagulant varie de 3 à 6 mois ou plus en fonction du contexte et de l'évolution de la perfusion pulmonaire et du foyer emboligène. Les EP non grave sans foyer emboligène survenue dans un contexte transitoire (exemple post opératoire) peuvent peut-être bénéficiées de traitement de 6 semaines. En dehors de ce cas précis des traitements trop court expose à un risque important de récidives de MTE. Après une période de 3 à 6 mois de traitement c'est le retour à une fonction pulmonaire et veineuse normale qui en l'absence d'antécédents particuliers autorise l'arrêt des anticoagulants. En cas d'EP récidivante et/ou de facteur de risque de MTE persistant le traitement anticoagulant doit être poursuivi 1 an voir "à vie" si plus de 2 récidives.

- L'interruption partielle de la veine cave inférieure permet par la mise en place d'un barrage mécanique sur la veine cave une prévention des migrations emboliques par filtre endocave percutané. Les indications principales sont les échecs du traitement anticoagulant (récidive embolique certaine sous traitement bien conduit, contre-indication formelle aux anticoagulants).

Pour les EP graves en complément de l'héparinothérapie ont discutera une fibrinolyse (Actylise, urokinase, streptokinase) par voie générale ou une thrombectomie chirurgicale. Dans tous les cas une évaluation précise des avantages et risques de ces deux traitements sera indispensable.

6 Conclusion

L'EP reste une pathologie fréquente et grave. Le diagnostic de la MTE est devenue plus aisé et moins invasif. Il repose dans tous les cas sur une évaluation précise de la clinique. Néanmoins il ne faut pas décider d'un traitement toujours risqué sur le seul "sens clinique".





Article reproduit dans SMEL grâce à l'aimable autorisation des auteurs.